Je n’apprécie ni Safia Nolin ni Maripier Morin. Je ne les déteste pas non plus. Je pourrais ajouter à ces noms la plupart des autres qui sont apparus du côté des victimes ou des agresseurs. Cette vague de dénonciation est tout sauf banale. Qu’on l’aime ou pas, elle envoie un message fort: certains comportements ne sont plus acceptables et acceptés. En fait, ils n’ont jamais été acceptables mais ils ont trop souvent été tolérés, voire normalisés. Avoue, lecteur honnête, que tu as déjà vu des gestes vraiment disgracieux et déplacés dans ta vie, sans nécessairement t’interposer. Tu en as peut-être déjà posé d’ailleurs. Je te laisse quelques instants pour y penser…
Ce qui change la donne à notre époque, c’est la puissance des réseaux sociaux. Sur ces plateformes, les gens agissent comme ils l’ont pourtant toujours fait avant l’arrivée de ceux-ci, c’est-à-dire au téléphone, entre amis dans le salon, dans les réunions familiales, au travail, au bar, etc. Le contenu demeurait souvent dans le cercle d’origine, peut-être élargi par la force d’un croustillant particulier, mais ça ne faisait pas le tour du Québec (ou du monde entier). Pour le mieux mais aussi pour le pire. On n’entendait pas autant de niaiseries, par contre des gens vivaient silencieusement des drames. Si ça peut permettre à des victimes de relever la tête, je peux aisément vivre avec les inconvénients.
Tu me vois venir, lecteur perspicace, et c’est bien correct. Je prends toujours du bord des abusés, c’est connu. J’assume. Est-ce que tous les dénoncés sont nécessairement coupables? Non. Et surtout, ceux qui n’ont pas bien agi ne méritent pas tous la même conséquence. Comme dans le système officiel de justice, il y a différentes peines, selon la gravité du geste commis principalement. Certaines vermines s’en sauvent, d’autres sont sévèrement punies. Parfois on a du mal à comprendre le raisonnement du ou de la juge, n’est-ce pas? Ce qui m’amène à l’autre tribunal, celui de la société, du vrai monde, brillant ou pas. Lui aussi rend des jugements difficiles à saisir. Que l’accusé avoue ou nie, ça importe peu ironiquement.
J’ai longuement réfléchi avant d’écrire cette chronique car cet océan était trop vaste et déchaîné. J’ai choisi de pointer le truc qui m’a le plus chagriné. Comment peut-on reprocher aux victimes de prendre la parole et se permettre de leur garrocher des pierres? Déjà, j’ai du mal à comprendre le manque d’empathie d’une partie de la population. Mettons cela de côté et poursuivons. Y a-t-il moyen d’exprimer un doute, une réticence ou un désaccord sans carrément agresser verbalement ou par écrit la personne qui justement s’est sentie victime? L’incohérence est frappante, non? On reproche aux dénonciateurs de vouloir se faire justice sans passer par les voies officielles mais on les juge et leur impose des peines socialement. On ne prend pas le temps d’écouter, de lire et de comprendre la situation; on préfère accuser l’accusateur, rire de sa personne ou de sa cause, diminuer ce qu’il s’est passé. Pire, on crie au scandale pour les pauvres dénoncés! Pourtant, ce ne sont pas les dénonciateurs qui ont imposé les peines à leurs bourreaux, mais bien un autre tribunal. Celui du peuple, des entreprises et du très puissant signe de piasse. Maripier Morin ne mérite peut-être pas de tout perdre, je ne m’en mêle pas d’ailleurs, mais Safia ne mérite assurément pas la tornade de marde qu’elle reçoit. Parce qu’elle n’est pas mince, parce qu’elle n’est pas hétérosexuelle, parce qu’elle s’habille différemment, parce qu’elle dérange et parce qu’elle n’est pas aussi « belle » que Maripier Morin, on peut se permettre de se défouler à ses dépends? NO WAY. Admirateurs de Maripier Morin, si vous tenez à l’aider, c’est auprès de ceux qui ont décidé de lui couper les vivres que vous devez plaider votre cause et en l’encourageant à devenir une meilleure personne comme elle-même l’a verbalisé; je me trompe? Pas en écoeurant celle qui a juste dit une vérité confirmée par l’autre… Je vous dis ça comme ça, mais j’entends encore du Éric Lapointe à la radio malgré les accusations officielles, pour des gestes plus graves encore, et la situation ne l’a pas empêché de donné des spectacles non plus. Deux poids, deux mesures? Blâme-t-on autant la pauvre femme qui a accusé le rocker adulé?
Alors cher membre du tribunal populaire qui me lit présentement, car nous le sommes tous à notre façon, peux-tu juste te comporter dignement, peu importe de quel côté tu penches, et faire en sorte que notre société grandisse au lieu de croupir grâce à cette prise de conscience à la fois individuelle et collective? Je t’en remercie à l’avance. Et je te rappelle que les réseaux sociaux sont de merveilleux outils pour ceux qui s’en servent correctement. Ils ont même bâti certaines des personnes qui sont présentement dans de beaux draps. Peut-on vraiment s’offusquer de ce retour du balancier quand ça va moins bien? Passe une belle fin de journée!
Crédit peinture: siefridt michèle